Les traces numériques comme outil d’observation des pratiques sportives spontanées

Les traces numériques comme outil d’observation des pratiques sportives spontanées

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Chargé de projets Attractivité

La diversité des activités physiques et sportives des habitants d’un territoire interpelle chaque collectivité locale dans de nombreux domaines de compétences (sport, santé, jeunesse, espaces publics, mobilités…). Aussi, mener une politique en faveur du développement des activités physiques et sportives passe nécessairement par une meilleure connaissance des pratiques des habitants. Au-delà des outils d’observation traditionnelle, les données issues des applications mobiles de sport peuvent être mobilisées pour appréhender les activités

L’observation traditionnelle de la pratique du sport recourt à des indicateurs bien connus de tous à partir des champs de compétences propres à chaque institution qui organise et encadre les pratiques sportives. Bien souvent, ils font état du nombre de licenciés, du nombre de compétitions, du nombre ou de la fréquentation des équipements sportifs, et viennent compléter les travaux d’enquête qui interrogent les habitants sur leurs pratiques. Ces derniers, lourds et coûteux, se déploient difficilement à un échelon géographique local pour lequel les collectivités sont susceptibles de jouer un rôle dans le développement des activités.

La démultiplication des pratiques sportives en dehors du cadre scolaire ou associatif (fédérations, clubs…), qui répond notamment aux nouveaux modes et rythmes de vie des habitants et dont l’individualisation des pratiques est un des symptômes, complexifie, de fait, les réponses à cet impératif besoin de connaissance. En particulier, la spontanéité de certaines pratiques et l’appropriation de l’espace public mais aussi des espaces naturels pour faire du sport en plus du recours à des équipements spécifiques (publics ou privés) obligent les acteurs publics à recourir à de nouvelles sources d’information. De nombreuses activités physiques d’extérieur telles que la marche, la course à pied ou la pratique du vélo sont des exemples emblématiques de la difficulté de disposer de données sur ces sportifs et leurs modalités de pratique.

 

Les applications de sport : un nouveau gisement de données pour mieux connaître les pratiques spontanées

 

Dans un contexte général de montée en puissance du « big data » et de l’exploitation de données comportementales issues de l’utilisation généralisée, délibérée ou non, des outils numériques, l’utilisation de nouvelles données issues des applications mobiles de sport et d’activités physiques (aussi appelées AMSAP) apparaît comme une opportunité pour mieux appréhender ces activités sportives spontanées. Ces données localisées s’appuient sur les traces numériques laissées par les pratiquants lors de leurs déplacements et lorsqu’ils sont connectés à leur support permettant l’enregistrement de l’itinéraire emprunté (smartphone, montre connectée…). Retraitées par les entreprises qui développent ces applications pour anonymiser les informations afin de respecter les règles en matière de protection des données personnelles, elles donnent un aperçu des tronçons les plus fréquemment empruntés par les utilisateurs lors de leurs pratiques physiques et sportives spontanées. Parmi ces applications, dont les modes de fonctionnement et de partage s’approchent de celles des réseaux sociaux traditionnels et dont la volonté de comparaison des pratiquants accentue le principe du « winner takes all », l’application Strava (carte page suivante) est un exemple emblématique des opportunités offertes par ces données mais également de leurs limites.

Les traces laissées par les utilisateurs des applications permettent de disposer de multiples informations à la fois sur l’empreinte spatiale des pratiques et sur les profils des « sportifs ». C’est notamment pour cette dimension géographique des données pour des activités qui reposent sur des « déplacements » que l’exploitation de ces traces revêt un intérêt particulier. Par agrégation, elles mettent en lumière les sections de cheminements piétons, de routes ou de sentiers les plus utilisées par les pratiquants, qu’ils soient marcheurs, coureurs ou cyclistes. Elles révèlent ainsi les lieux les plus attractifs pour la pratique tels que les parcs publics, des espaces dédiés au sport ou les principales artères des agglomérations. Plus largement, les applications mettent aussi en valeur les modalités d’accès et l’interconnexion de ces lieux récréatifs. En zone rurale, ce sont les lieux d’attractions touristiques ou d’excursions souvent centrés autour d’un espace naturel remarquable (berges de lacs ou de rivières, belvédères…) ainsi que les parcours de randonnée qui ressortent à partir de l’exploitation des données.

 

© Olivier Gibert – AUAT

 

Un outil d’aide à la décision pour les acteurs publics, malgré des limites à considérer

 

Les AMSAP donnent à voir les pratiques des habitants avec tout ce qu’elles comprennent d’arbitraire et de subjectif dans le choix des lieux de pratique. À titre d’exemple, regarder les effets de « coupures » dans les parcours des sportifs en mettant en lumière des barrières réelles (infrastructure, barrière naturelle, espace inapproprié…) ou perçues, conscientes ou inconscientes, peut prendre tout son sens pour lever certains freins à la pratique du sport. Plus largement, la construction d’indicateurs plus complexes permettant d’estimer le caractère « marchable » ou « cyclable » d’un espace public (place, rue…), d’un quartier, d’un espace vert est un autre débouché pour ces données en les enrichissant de multiples informations complémentaires. À l’inverse, de véritables « zones blanches » de recours aux modes actifs de déplacement peuvent être identifiées.

La question centrale de l’exploitation des traces numériques des sportifs est la représentativité. Toutes les applications dédiées à cet usage, et reposant bien souvent sur un esprit communautaire, disposent d’un public « cible » spécifique et ne couvrent pas, par définition, l’ensemble des pratiquants d’un territoire. L’étude des profils des utilisateurs de Strava à l’échelle de la Haute-Garonne avec la surreprésentation d’utilisateurs jeunes, masculins, et dont les traces laissent penser qu’ils recouvrent un public plutôt aisé, diplômé et accoutumé aux outils numériques, est incontournable pour adapter les enseignements qui peuvent émerger de l’exploitation de ce type de données. La diversité des modalités de recours aux AMSAP (trajets pendulaires, séances de sport, déambulation…), parfois par le même utilisateur, est également un frein à l’exploitation. En effet, dans le cadre d’un usage qui peut s’apparenter à celui des réseaux sociaux, l’affichage des performances par les sportifs est tout autant un enjeu que la pratique elle-même. L’extrapolation ou la mise en place de méthodologies de redressement pourraient permettre de corriger certains biais, bien que ces outils soient complexes à mettre en oeuvre. La fragmentation des opérateurs détenteurs de données et le caractère mercantile que peut revêtir leur exploitation sont d’autres exemples d’obstacles à l’utilisation de ces données (coûts d’accès et d’exploitation importants, faible interopérabilité…).

Pour autant, malgré les limites inhérentes au recours à ces sources, il ne s’agit pas d’en rejeter totalement l’exploitation. L’observation des pratiques par l’intermédiaire des traces numériques offre par exemple aux décideurs publics les moyens d’identifier des conflits d’usages et des problèmes de sur-fréquentation sur certains fuseaux ou de détecter, à l’inverse, des espaces aménagés pour ces activités mais délaissés par les habitants. Dans un champ du sport marqué par l’informel et la spontanéité des pratiques, ces données sont une opportunité pour aider les collectivités à la programmation d’aménagements futurs, ou à l’évaluation de projets menés à terme. À ce titre, des exemples aussi divers que la sécurisation d’un itinéraire, la mise en place d’une signalétique (voie réservée, sentier de randonnée…), la création d’un nouvel accès ou d’un nouvel aménagement peuvent être cités. Ces éléments démontrent la nécessaire montée en compétence des acteurs publics en matière de connaissance des pratiques physiques et sportives spontanées pour appuyer leurs projets destinés aux pratiquants et le rôle « clé » que peuvent jouer les données issues des AMSAP. Dans le sillage de l’Institut régional de développement du sport de l’Institut Paris Région, et en tant qu’acteurs « pivots » pour l’observation des territoires, les agences d’urbanisme sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à se saisir de cette thématique pour accompagner les collectivités locales. Elles mettent pour cela à profit leur expérience technique et leur capacité à croiser les données et les enjeux de multiples thématiques pour rendre opérationnelles ces données et répondre à leur mission d’expertise.

 

Les espaces de « nature en ville » : lieux de rassemblement des sportifs toulousains

 

À la lecture de la carte ci-dessous portant sur les pratiques pédestres (balades, course à pied…) de l’agglomération toulousaine issues des données Strava, plusieurs éléments apparaissent au premier regard. Les cheminements piétons situés à proximité des principales voies d’eau sont les tronçons les plus empruntés par les pratiquants qui profitent de l’aménagement des berges, et des « coulées vertes » associées, de la Garonne (7), du Touch (9), de l’Aussonnelle (2), de l’Hers (6), ou encore du canal du Midi (5) et du canal latéral à la Garonne pour se balader, randonner ou courir. Il y a là une cohérence à noter entre les pratiques des habitants et le projet urbain des Grands Parcs porté par la Ville de Toulouse. En effet, il vise à construire des axes « verts » pour conforter la place de la nature en ville et promouvoir le développement de mobilités pendulaires ou récréatives le long de ces corridors.

Les zones de loisirs comme celle de La Ramée (10) ou de la base de Sesquières émergent également du foisonnement de traces. D’autres espaces verts emblématiques de l’agglomération comme les coteaux de Pech-David (11) ou la forêt de Bouconne (1) apparaissent aussi comme des lieux de pratique récurrents. En élargissant le spectre d’analyse, la profusion de traces sur des territoires aussi divers que le centre-ville de Toulouse, les communes périurbaines de la première ou deuxième couronne toulousaine, ou les territoires plus ruraux situés aux confins de l’aire urbaine est à relever. Malgré tout, quelques « zones blanches » apparaissent sur certains quartiers populaires (Mirail (8), Bagatelle, Les Izards…) ou sur des espaces dédiés aux activités économiques : plateforme aéroportuaire (3), entrée nord et sud de Toulouse (4) et (12).

 

Pratiques sportives pédestres (marche et course à pieds) de l’agglomération toulousaine © réalisation Christophe Hahusseau – AUAT


© Alamy Stock Photo

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